La fable
Son maître, voulant régaler ses amis, lui aurait commandé d’acheter au marché ce qu’il y avait de meilleur. Sur le chemin, il se dit : " Je vais t’apprendre à préciser ce que tu demandes au lieu de t’en remettre au choix d’un esclave. "
Et il servit aux invités des langues de pourceau à chaque service et à toutes les sauces. Comme son maître allait le châtier, Esope expliqua que la langue était la meilleure des choses pour communiquer, instruire, persuader, faire société et prier les dieux. Comme les convives approuvaient ses arguments, le maître lui ordonna donc de leur servir le lendemain les pires choses du marché.
Et ce fut, sous toutes les formes, des plats de langues de pourceau. " N’est-ce pas avec la langue qu’on profère insultes, mensonges, calomnies ou blasphèmes, qu’on déclenche disputes et guerres ?" expliqua Esope aux convives et à son maître, rassasiés de langues de pourceau.
Les morales
Aujourd’hui, c’est entendu, comme il y a 2500 ans, les mots prononcés provoquent encore le pire est le meilleur. Mais la pluie aussi peut apporter le pire et le meilleur, et le soleil, et les champignons, et….
Ce que l’esclave bègue voulait surtout apprendre à son maître c’était l’art d’ordonner. Quand l’ordre est mal formulé, l’exécutant accomplit mal la tâche, risquant la punition.
Ainsi en est-il de tout l’univers en expansion de l’IA : la question fait la réponse ! Comme elle est artificielle, cette intelligence ne nous dispense donc pas de penser avec justesse. Car l’intelligence naturelle veut que :
"Ce que l'on conçoit bien s’énonce clairement, Et les mots pour le dire arrivent aisément."
comme le déclarait déjà en 1674 Nicolas Boileau-Despréaux dans son Art poétique…
Mais cet apologue dit autre chose encore qu’exprime un convive à la fin du texte grec : « Si tu n’y prends pas garde, l’esprit de cet Esope te mettra en rage. » Vieux paradoxe du maître devenant esclave des services de son esclave !
A quoi Esope répond : " Tu me sembles être un homme de mauvaise foi en voulant irriter le maître contre son serviteur » complétant cette morale à tiroirs : est-ce de mauvaise foi de mettre en garde ? Culpabiliser celui qui critique, n’est-ce pas aussi mauvaise foi ? "
L’ultime leçon serait-elle que tout est à la fois bien et mal, que tout se vaut, que bien et mal sont relatifs ? Ceci est une tout autre histoire !
Quoi qu’il en soit, l’anecdote de ce vieux grec contrefait qui n’existait peut-être pas, éclaire encore nos relations avec un tchat de l’Intelligence Artificielle : dialoguer avec la meilleure et la pire des choses, ne pas devenir esclave du serviteur, poser la bonne question, éviter la répétition de plats semblables, voir où s’entremêlent bien et mal, vrai et faux, et rester libre de ses pensées, comme le subtil Esope.
Michel Seyrat