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Territoire ze ro cho meur

Economie

Les territoires  zéro chômeur de longue durée

Personne n'est inemployable...

Ce n'est pas le travail qui manque...

Ce n'est pas l'argent qui manque...

 

Une analyse réalisée à partir de l'expérience de l'ARDES, une association normande agissant pour le développement de l'économie sociale et solidaire

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Dominique BENARD


Décembre 2020


 

 

”Territoires zéro chômeur de longue durée” est un projet inédit initié par ATD Quart Monde, à partir d'une intuition de l'entrepreneur social Patrick VALENTIN

Les constats de départ

Au premier trimestre 2020, le nombre de chômeurs suivant les critères du Bureau International du Travail (BIT) s’élevait à 2,3 millions de personnes. Mais dans ce nombre ne sont pas comptabilisées les personnes découragées qui ne se déclarent plus à Pôle Emploi. Un indicateur complémentaire a donc été défini : le "halo autour du chômage".

L’INSEE évalue le" halo autour du chômage" à 1,5 million de personnes qu ‘il faudrait ajouter au chiffre de 2,3 millions. Par ailleurs, près de 50% des personnes privées d’emploi le sont depuis plus d’un an et la plupart d’entre elles ne touche plus d’allocation au titre du chômage. Le chômage de longue durée est synonyme de pauvreté et d'exclusion sociale : le sociologue Robert Castel a insisté sur" l'émergence de gens qui sont comme surnuméraires et qui n'ont pas leur place inscrite dans le système social.”

Il existe en France une sorte de sentiment de fatalité par rapport au chômage de longue durée : ”On a tout essayé !” disent certains en affirmant trois contre-vérités que l’Association ATD Quart Monde, qui s’est donné pour but de lutter contre la pauvreté, dénonce :

  1. Les chômeurs ne veulent pas travailler ou manquent de compétences” - Faux : le plus grand nombre souhaite trouver par un travail décent une utilité et une place dans la société. Toutes celles et tous ceux qui sont durablement privés d'emploi ont des savoir-faire et des compétences. Personne n’est inemployable lorsque l’emploi est adapté aux capacités et aux compétences des personnes.
  2. Il n’y a pas de travail” - Faux : ce n'est pas le travail qui manque, c'est l'emploi, puisque de nombreux besoins de la société ne sont pas satisfaits. Ils pourraient l’être par la création de nouveaux emplois mais l’économie marchande ne les prend pas en compte.
  3. Il n’y a pas d’argent” - Faux : l’argent ne manque pas. Depuis 1990, de nombreuses mesures ont été prises pour réduire le coût du travail et inciter les entreprises à embaucher. Leur montant a doublé en 20 ans, atteignant en 2015 la somme pharamineuse de 122 milliards d’euros. Par ailleurs, la privation d’emploi coûte cher à la collectivité nationale : en juin 2017, une étude montrait que l'évaluation du coût global annuel du chômage de longue durée était compris entre 43 et 50 milliards d'euros, soit entre 16 000 et 19 000 euros par demandeur d’emploi.

 

Proposer à tous les chômeurs de longue durée volontaires présents depuis plus de 6 mois dans le territoire un emploi à durée indéterminée...

Un projet novateur promu contre l’inertie

A partir de ces constats, ATD Quart Monde et ses partenaires élaborent un projet qui présente trois innovations majeures :

  1. Au plan sociétal : partir des compétences et savoir-faire des personnes elles-mêmes, plutôt que des "besoins" identifiés pour être certain de faire une place à chacun.
  2. Au plan économique : identifer le travail utile non réalisé correspondant à ces compétences et savoir-faire pour le transformer en emploi.
  3. Au plan financier : réorienter les "dépenses passives" et les manques à gagner liés au chômage de longue durée vers le cofinancement de ces emploi (Avec le coût de moyen de 18 000 euros par chômeur, il est possible de créer un emploi durable).

Le projet met en avant un objectif et s’appuie sur un principe et un préalable :

  • Objectif : Proposer à tous les chômeurs de longue durée volontaires présents depuis plus de 6 mois dans le territoire un emploi à durée indéterminée, adapté à leurs savoir-faire et à temps choisi. Le projet repose sur l’absence totale de sélection.
  • Principe : financer ces emplois supplémentaires par le travail fourni et en réorientant des dépenses passives (allocation chômage/RSA..) vers la création d’emplois soutenue par des Entreprises à but d’emploi (EBE), conventionnées pour créer des CDI au SMIC, à temps choisi.
  • Préalable : Partir des savoir-faire, des projets et de la capacité d’initiative des demandeurs d’emploi. Répondre aux besoins locaux non satisfaits. Ne pas se substituer aux emplois existants. Ne pas entrer en concurrence avec les entreprises locales et favoriser le développement économique et la coopération.

Territoires zéro chômeur longue durée

Les comités locaux pour l’emploi

Le comité local pour l’emploi est l’instance en charge de la mise en œuvre et de l’animation de la démarche Territoire Zéro Chômeur de Longue Durée. Il est composé de l’ensemble des parties prenantes liées au développement socio- économique du territoire et a pour mission de définir et piloter l’ensemble des modalités de fonctionnement de l’expérimentation.

La première innovation de l’expérimentation TZCLD réside dans l’existence de cette instance. Elle montre que la suppression de la privation d’emploi concerne avant tout les acteurs du territoire, et pas uniquement les entreprises dans leur fonction employeur. C’est un véritable changement de paradigme.

Les comités locaux pour l’emploi sont composés d’une diversité d’acteurs :

  • Des représentant·e·s de la collectivité locale : élu·e·s et technicien·ne·s des services. Le comité local pour l’emploi est présidé par l’élu·e de référence sur le projet
  • L’État : le Service Public de l’Emploi, la préfecture, la DIRECCTE, Pôle Emploi, la Mission Locale, Cap Emploi, le PLIE … Autant d’institutions impliquées sur l’accompagnement à la recherche / création d’emploi.
  • Les politiques publiques locales : conseil régional, conseil départemental, EPCI, chacun venant avec ses propres domaines de compétences (formation, action sociale, développement économique, insertion, ESS …)
  • Des personnes privées durablement d'emploi (PPDE) : il s’agit de les associer dès le démarrage de la démarche projet afin de mesurer quel est le niveau de privation d’emploi sur le territoire, quelles sont leurs ambitions, leurs compétences …
  • Des habitant·e·s / citoyen·ne·s engagé·e·s : leur représentation peut se faire individuellement ou via des collectifs organisés (conseil de quartier, comité des fêtes, conseil des aînés …). Ces personnes peuvent avoir une capacité à accompagner les personnes privées d'emploi, le développement d’activités, à contribuer à la réalisation de diagnostics permettant d’identifier les futurs services à rendre à la population.
  • Les Entreprises / Chambres consulaires : leur présence est nécessaire. Elle permet de les associer à la recherche de solutions à la privation d’emploi par la création de nouveaux services par exemple. La présence d’entreprises peut aussi permettre de mieux analyser la supplémentarité de l’emploi dans chacune des activités proposées (l’activité est-elle bien non concurrentielle sur le territoire ?)
  • Des structures associatives, de l’ESS, structures d'insertion : acteurs clé de l’expérimentation, ces structures vont s’impliquer dans le cadre de la mobilisation des PPDE, la co- construction d’activités dont elles seront partenaires, le portage d’une EBE, etc.
  • Les organisations syndicales : avec l’ensemble des partenaires précédemment cités, les organisations syndicales vont contribuer à la définition des futures modalités de fonctionnement de l’EBE et veiller à la non- concurrence des activités sur le territoire.

Les comités locaux pour l’emploi s’organisent souvent en groupes de travail pour mettre en œuvre cinq missions principales:

  1. Animer et entretenir le consensus local en mobilisant en continu toutes les personnes et structures concernées de près ou de loin par l’expérimentation ;
  2. Supprimer la privation durable d’emploi en identifiant et accompagnant les personnes privées durablement d’emploi ;
  3. Proposer des activités qui seront portées par la ou les EBE en s’assurant de leur supplémentarité ;
  4. Accompagner la montée en compétences des personnes privées d'emploi et des salarié·e·s en EBE en proposant un cadre de travail adapté à chacun·e ;
  5. Evaluer les résultats de l’expérimentation pour faire évoluer les pratiques locales et contribuer à l’élargissement de l’expérimentation.

C’est l’ensemble de ces missions qui permettent de créer un cadre propice aux embauches, le comité local pour l’emploi étant en charge de l’identification des PPDE, de leur mobilisation, de leur montée en compétences, de la création des activités et de l’entreprise à but d’emploi qui portera les activités et les embauches.

L’ARDES co-anime toute cette démarche projet aux côtés de la ville de Colombelles.

Le premier pas a été d’identifier les publics éligibles à l’expérimentation, et leur expliquer son fonctionnement.

Deux cent vingt invitations avaient été envoyées à des chômeurs de longue durée. Une centaine se sont présentés. ”Ce fut un choc”, raconte le Maire dans un interview à la presse locale. Dans l’assistance, beaucoup de visages inconnus – des ”invisibles de la société” – dont la détresse se lisait dans le regard, la posture, la façon d’être habillé”.

Un des défis a aussi été de rencontrer les artisans de la commune pour leur exposer le projet et rassurer tous ceux qui croyaient que l’EBE allait leur faire concurrence.

 

l’évaluation du projet ”Territoires zéro chômeur de longue durée” montre un impact très positif...

Deuxième loi

Au terme d’une première expérimentation 5 ans et sur 10 territoires, l’évaluation du projet ”Territoires zéro chômeur de longue durée” montre un impact très positif sur les bénéficiaires, sur le plan professionnel comme sur le plan personnel.

S’agissant des impacts hors travail, l’exploitation en cours de la deuxième vague d’enquête montre notamment que, par rapport à des personnes comparables des territoires témoins, les bénéficiaires ont, un an après leur entrée dans l’expérimentation, moins de problèmes pour financer leur logement ou leur transport, renoncent moins souvent à des dépenses de santé, et ont un sentiment de bien-être significativement supérieur.

L’Assemblée Nationale a adopté le mercredi 16 septembre 2020 - à l’unanimité - une proposition de loi de la majorité visant à étendre à 50 nouveaux territoires l’expérimentation ”Territoires zéro chômeur de longue durée".


 

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