Approches Coopératives Publications et formation sur les méthodes coopératives
Photos gratuites de a l interieur activite de classe activl8tu1x

 

Education

Coopérer pour apprendre ou apprendre à coopérer

La finalité d’une pédagogie coopérative, ce n’est pas un but commun, c’est un but individuel... parce qu’on ne peut apprendre que par soi-même.

Un entretien avec Sylvain CONNAC, enseignant-chercheur à l'Université de Montpellier, auteur de Apprendre avec les pédagogies coopératives. Démarches et outils pour l’école. ESF 2022.


Contributeur


Propos recueillis par


Date


Capture d e cran 2025 08 17 a 19 05 16


Sylvain CONNAC


Dominique BENARD


Juillet 2023


Sylvain CONNAC est enseignant-chercheur en Sciencesde l’Education à l’Université Paul Valéry de Montpellier. Il est issu du corps des profes- seurs des écoles et a fait partie de l’équipe pédagogique de l’école coopérative Antoine Balard à Montpellier. Il publie régulièrement des articles de formation ou de recherche dans la plupart des revues pédagogiques.

Il est l’auteur, entre autres, de :

  • La coopération, ça s’apprend. Mon compagnon quotidien pour former les élèves en classe coopérative. ESF 2020
  • Apprendre avec les pédagogies coopératives. Démarches et outils pour l’école. ESF 2022.
  • Construire ensemble l’école d’après. avec Jean-Michel Zakhartchouc et Jean-Charles Léon. ESF 2020. 
  • Agir face à l’hétérogénéité, à l’école et au collège. ESF 2022. Enseigner sans exclure. La pédagogie du colibri. ESF 2023.

Bonjour Monsieur Connac, merci d’avoir accepté cet entretien. La première question que j’aimerais vous poser porte sur l’origines des pédagogies coopératives. Ne faut-il pas la situer chez les pédagogues libertaires comme Sebastien Faure en France ou Francisco Ferrer Guardia en Catalogne, qui d’ailleurs a été exécuté par les autorités espagnoles...

Oui, c’est lui qui en mourant aurait crié “Vive l’école moderne !”

Et puis il y a tout le courant de l’Ecole Nouvelle qui s’est développé à partir de la fin du XIXe et tout au long du XXe.

Sébastien Faure, je ne ne me suis jamais trop rapproché de lui parce que dès que j’ai fait mes études en sciences de l’éducation, on m’a fait lire des témoignages prouvant que c’était un pédagogue pédophile. Pour moi, c’est rédhibitoire.

Ah bon, j’ignorais cela !

Il aurait profité de l’école de la Ruche, qu’il avait fondée, pour vivre en quasi autarcie avec des enfants. Il a décrit des scènes d’attouchements sexuels et même de pédagogie d’attouchement sexuel le soir dans sa chambre. Sébastien Faure c’est assez particulier… Si au plan politique il a eu un engagement pacifiste qui est assez intéressant, au plan pédagogique, la Ruche ce n’est pas un exemple. On trouve cela dans le Métron (https://maitron. fr/) un dictionnaire en ligne sur le mouvement ouvrier et le mouvement social. On peut y retrouver une fiche sur Francisco Ferrer et aussi celle de Sébastien Faure. Le fonctionnement même de l’école de la Ruche n’était pas nouveau, il s’inspirait beaucoup du fonctionnement de l’école de Summer Hill, fondée par Alexander Sutherland Neill, mais sans innovation extraordinaire.

Bon, oublions donc Sébastien Faure...

Je pense que les origines de la coopération doivent être trouvées principalement dans les expériences sociales du XIXe siècle comme celles de Robert Owen ou d’Etienne Cabet, des “fraternités autogestionnaires”, des “phalanstères” ou “familistères”. Et aussi l’approche mutualiste de Proudhon. Tout cela a beaucoup influencé tout ce qui s’est passé ensuite dans le domaine de l’éducation. L’histoire de l’engagement de Robert Owen montre bien qu’il y avait une volonté de trouver une alternative au capitalisme. Il y a donc eu des expérience sociales de vie coopérative qui ensuite ont influencé un certain nombre de pédagogues, qui ont pensé que ce serait intéressant d’encourager, par l’éducation, les peuples à adopter ces alternatives de vie. Il y a eu même des expériences de coopération antérieures à ces mouvements politiques et sociaux. Les premières formes de coopération dans des contextes scolaires peuvent être trouvées dans ce qu’on appelait les “élèves préfets” ou les “élèves officiers” dont parlait beaucoup Jean-Baptiste de la Salle. Il s’agissait d’associer des élèves dans l’accompagnement d’autres élèves. On retrouve des formes de coopération, au XVIIe siècle, dans ce qu’on peut considérer comme le premier traité de pédagogie : “la Grande Didactique” de Comenius.

Il faut noter au XVIIIe siècle les “écoles participatives et réciproques” des orphelins de Paris. Il faut citer aussi ce qu’on appelle “l’enseignement mutuel”, qui n’a rien à voir, à mon avis, avec le mouvement social et ouvrier, mais s’appuie plutôt sur la structuration de l’Eglise Réformée pour penser l’école. En utilisant une méthode mettant en place des élèves moniteurs, un seul adulte pouvait faire classe à plusieurs centaines d’enfants. 

On retrouve en fait plusieurs influences , celle des révolutions sociales, comme vous l’avez noté, les influences pédagogiques principalement issues des religieux et aussi les influences de ce qu’on appelait le “self- government”, les “républiques d’enfants”. On n’est pas arrivé à expliquer pourquoi, XIXe siècle et au début du XXe siècle, on retrouve ces logiques de républiques d’enfants un peu partout dans le monde : en Angleterre avec la fameuse école de Bedales, fondée par John H. Badley en 1893, en Pologne avec Janusz Korczack et l’orphelinat Dom Sierot, en Allemagne avec l’école de Paul Geheeb, et les school cities aux États-Unis, et puis la fameuse « Ecole moderne » de Francisco Ferrer Guardia, qui est à la base de la dénomination de l’école moderne. 

Ces expériences de « républiques d’enfants » ont beaucoup influencé les « coopératives scolaires » qui existent encore de nos jours avec le mouvement de l’Office Central de Coopération à l'Ecole (OCCE). Les trois fondateurs de l’OCCE, Barthélémy Profit, Emile Bugnon et Célestin Freinet, se sont inspirés beaucoup de ces pratiques de républiques d’enfants pour créer les coopératives scolaires mais pas du tout avec le même objectif. L’objectif c’était d’éduquer les enfants à la notion de mutualisme. Aujourd’hui cette notion nous est tout à fait ordinaire - les assurances, etc. - mais il y a eu une période où il a fallu convaincre les adultes des bienfaits du mutualisme, comme c’était assez difficile, l’idée est venue de passer par l’éducation des enfants. On a donc créé les « coopératives à la fin du scolaires » avec des tensions dès le départ entre Profit et Bugnon. 

Pour Emile Bugnon l’objectif de la coopérative scolaire c’était d’éduquer les enfants au mutualisme alors que pour Profit il s’agissait plus d’éduquer les enfants à l’engagement citoyen. Aujourd’hui, dans l’OCCE on retrouve toujours cette tension : l’objectif est-il de faire vivre des coopératives ou bien d’éduquer à des alternatives de vie sociale par la coopération. J’étais à leur congrès il y a quelques semaines et ils ne sont pas encore au clair là-dessus. Et puis après il y a eu le mouvement Freinet, l’Institut Coopératif de l’Ecole Moderne (ICEM). Célestin Freinet parlait de coopération entre enfants en se référant beaucoup aux républiques d’enfants et à la coopération scolaire mais le Mouvement Freinet, c’est plus un mouvement coopératif d’adultes que véritablement une pédagogie de la coopération. Ce que Freinet a développé, c’est oui… les enfants coopèrent… notamment par ce qu’il appelait les réunions de coopérative, mais ce qui est au coeur de la pédagogie Freinet c’est ce qu’il appelle le « tâtonnement expérimental », ce n’est pas la pédagogie la plus coopérative qui soit. Le projet de l’OCCE est par exemple beaucoup plus coopératif que la pédagogie Freinet. 

Après, il y a des origines un peu plus récentes avec les travaux scientifiques et notamment les travaux des néo-piagétiens, c’est-à-dire tous ceux qui se sont intéressés à la dimension sociale de l’approche constructiviste. Apprendre c’est construire de nouvelles représentations mais ce processus de construction serait facilité par la relation sociale. On peut distinguer trois groupes d’influence : ceux qui sont à l’origine de la notion de conflit socio-cognitif, c’est-à-dire Perret- Clermont, Doise, Mugny, tous ces gens-là, Lev Vygotsky dont les travaux ont pris place bien avant les autres mais qui a été traduit tardivement en anglais et en français et qui a proposé la notion de zone proximale de développement, c’est-à-dire de zone où l’on apprend grâce à l’interaction avec les autres, qui est tout à fait compatible avec la notion d’étayage de Jérome Bruner- ce sont un peu des idées similaires - et puis il y a une troisième influence ce sont tous les travaux de Bandura, ce qu’on appelle l’apprentissage par vicariat qui ont été repris en France par un psychologue qui s’appelle Maurice Rochat, qui explique que l’on peut apprendre par le processus de déconstruction- reconstruction mais aussi par un autre processus, social, celui d’observation-imitation. C’est cela qu’il a appelé la vicariance. Il y a donc de nombreuses influences et on ne sait pas qui a introduit véritablement la coopération en éducation. 

La notion même d’école est coopérative. Le fait de rassembler plusieurs enfants dans un même lieu avec un enseignant est en soi une forme de coopération. L’école est une alternative au préceptorat. Dès qu’il y a eu des lieux d’école, les premières formes de coopération sont forcément apparues.

Et comment se situe la pédagogie institutionnelle dans cet ensemble ? Est-ce qu’on continue à parler de la pédagogie institutionnelle aujourd’hui ?

Oui, on en parle énormément. Contrairement à tous les mouvements dont on vient de parler, la pédagogie institutionnelle est un concept très récent. C’est à partir de 1963 qu’elle est apparue, à l’occasion d’une scission entre le mouvement Freinet et les frères Oury (Jean et Fernand) qui se sont écartés - pour des raisons humaines, de mésentente, et non pas pour des désaccords pédagogiques. Ils ont donc trouvé une occasion d’exister en se rapprochant de la notion d’inconscient. C’est donc devenue « pédagogie institutionnelle » parce que ça ne pouvait plus s’appeler « pédagogie Freinet » et parce qu’existait la psychothérapie institutionnelle de Jean Oury. La pédagogie institutionnelle est une pédagogie de la coopération puisqu’un des piliers de la pédagogie institutionnelle c’est la notion de groupe. 

La pédagogie institutionnelle bien plus que la pédagogie Freinet a été influencée par les dynamiques de groupe des psychologues américains. C’est une pédagogie qui est très vivace, il y a de nombreux groupes qui existent en France et à la limite il y a plus de recherche sur la pédagogie institutionnelle que sur la pédagogie Freinet. 

La pédagogie Freinet, c’est un peu particulier dans le sens où le mouvement Freinet est actuellement face à un gros problème collectif qui est celui de la tendance à se définir comme une « méthode naturelle », présentée comme une sorte de dogme, or le fait d’avoir une pensée dogmatique, c’est proprement impropre avec une approche scientifique. La pédagogie Freinet apparaît comme quelque chose d’extrêmement fermé et c’est pourquoi il y a assez peu de chercheurs qui s’y intéressent aujourd’hui. Je ne suis pas très optimiste sur l’évolution, d’ailleurs.

J’ai commencé ma carrière comme conseiller d’orientation scolaire et professionnelle en Normandie et j’étais assez enthousiaste de ce que je voyais de la pédagogie Freinet dans certaines écoles. Est-ce que cette pédagogie est encore assez répandue aujourd’hui en France ?

C’est difficile à quantifier parce que suivant le principe de liberté pédagogique on peut très bien faire de la pédagogie Freinet sans être affilié au mouvement Freinet. Cependant même s’il y a en beaucoup, en proportion du nombre d’écoles et de classes en France, ce n’est certainement pas majoritaire. En Normandie, je connais bien l’école Freinet d’Hérouville-Saint Clair, je ne sais pas si c’est celle que vous connaissez…

Non, moi celle que j’avais souvent visitée c’était celle de Lyons-la-Forêt.

En Normandie, il y a encore énormément de classes qui fonctionnent suivant la pédagogie Freinet parce qu’il y a une figure qui entretient cela, c’est Henri Peyronie, un chercheur de l’université de Caen, qui a travaillé toute sa vie sur la pédagogie Freinet et qui a expliqué que la pédagogie Freinet ce n’était pas la pédagogie d’un seul homme mais la pédagogie de tout un mouvement et cela c’est un peu contesté aujourd’hui par un certain nombre de “gardiens du temple” qui disent qu’il n’y a de Freinet que ce que Freinet a dit et a écrit. Ce qui est très contestable.

Pour approfondir la compréhension des pédagogies coopératives, j’aimerais que vous m’expliquiez la différence, sur laquelle vous avez insisté dans vos écrits, entre comportement coopératif et organisation collaborative.

Alors, cela correspond à des travaux beaucoup plus récents parce qu’ils sont liés à l’attention apportée depuis quelques années - c’est très récent - à la notion de cognition. On sait aujourd’hui beaucoup mieux décrire, principalement grâce aux sciences cognitives, les phénomènes cognitifs, c’est-à-dire ce qui se passe au niveau du cerveau pour désigner ce qu’on appelle l’apprentissage. Il y a un élément qui fait consensus quand on s’intéresse à ça, c’est le fait qu’on ne peut apprendre que par soi-même. 

L’apprentissage est avant tout l’activité de l’apprenant. L’enseignant, le formateur, l’éducateur ne peut être qu’un accompagnateur de ce processus d’apprentissage. Cette idée-là a notamment conduit à s’intéresser à la dimension sociale : qu’est-ce qui dans une relation participe à de la cognition si on ne peut apprendre que par soi-même ? Donc cela a conduit à distinguer la notion de coopérer de celle de collaborer. Toutes les deux se ressemblent parce qu’elles appartiennent à un ensemble plus large qu’on pourrait appeler l’ensemble de l’interaction ou de l’interrelation. Les deux favorisent les échanges, il y a une action combinée dans la coopération comme dans la collaboration. 

Mais ce qui est spécifique à de la collaboration c’est le fait d’agir dans le sens d’un but commun. On se met à plusieurs pour essayer d’être plus rapides, plus efficaces, plus performants dans l’atteinte d’un but commun. Alors, c’est difficile de collaborer, cela demande beaucoup d’intelligence, cela demande des organisations qui sont assez rigoureuses, assez méticuleuses et qu’on arrive pas toujours à maintenir. 

C’est pour cela que dans le monde de l’entreprise ou du travail en général on n’arrive pas toujours à organiser de la collaboration. Souvent c’est juste de la coordination, c’est-à-dire qu’il y a un système un peu vertical avec une personne qui se charge de faire passer les informations et d’organiser le travail de chacun. C’est beaucoup plus facile, ce n’est pas forcément plus performant parce qu’on ne s’appuie pas sur la participation des personnes, mais c’est beaucoup moins risqué. 

La collaboration, c’est plus intéressant en termes de mobilisation des acteurs, mais justement parce qu’on s’attache à mobiliser les acteurs il y a des phénomènes humains qui interviennent sous forme de conflits relationnels et qui rendent la collaboration plus difficile. 

Alors, le principe de la collaboration c’est de tendre vers un but commun et donc que chacun donne tout ce qu’il a pour atteindre ce but, mais ça se fait sur la base d’une division du travail prenant en compte les talents de chacun. En fonction de la formation initiale, des appétences et des compétences des uns et des autres, chacun va participer à sa mesure à la réalisation du but commun. Donc, c’est ce qu’on pourrait appeler l’intelligence collective… La collaboration, c’est plutôt intéressant quand on cherche à réaliser quelque chose… 

Coopérer par contre, c’est tout simplement agir avec d’autres. On n’agit pas forcément pour travailler avec un autre, on n’agit pas forcément avec un autre parce qu’on a un but commun. Une situation de communication n’est pas forcément une situation de collaboration, par contre c’est une situation de coopération. 

 

 

Philippe Meirieu parle d’une distribution avec des "concepteurs", des  "exécutants", des "chômeurs" et des "gêneurs”...

Et donc, on s’est aperçu que lorsqu’on essaie de faire collaborer des élèves pour qu’ils apprennent, il y a un problème. Souvent la division du travail renforce les talents initiaux des élèves. C’est la thèse de Philippe Meirieu au départ et des travaux d’un pédagogue de la coopération qui s’appelle Roger Cousinet et qui déjà en avait parlé. En organisant le travail des élèves par de la collaboration, les élèves se répartissent les tâches en fonction de ceux qui savent déjà faire et cette répartition est profondément inégalitaire. 

Philippe Meirieu parle d’une distribution avec des « concepteurs », des  "exécutants", des "chômeurs" et des "gêneurs”. Et les seuls qui peuvent espérer apprendre quelque chose sont les concepteurs parce que ce sont les seuls qui ont une activité cognitive et justement ils deviennent concepteurs parce que ce sont les plus compétents. 

La différence entre coopérer, agir avec d’autres et collaborer, travailler avec d’autres, elle peut être un peu anecdotique sauf en pédagogie parce que si on fait collaborer des élèves, on tombe dans une dérive pédagogique qui est terrible : aucun n’élève n’apprend quelque chose et en plus on provoque une augmentation des écarts et des inégalités sociales qui existent.

Très intéressant ! 

Le principe est de penser des pédagogies coopératives qui ne soient pas collaboratives, c’est-à-dire des pédagogies coopératives qui donnent la possibilité à des enfants de pouvoir travailler avec, par et pour d’autres, mais sans oublier que le but est individuel. 

C’est-à-dire que la finalité d’une pédagogie coopérative, ce n’est pas un but commun, c’est un but individuel et parce que c’est un but individuel, c’est tout à fait compatible avec les exigences de la cognition parce qu’on ne peut apprendre que par soi-même. Quand on a étudié en quoi la coopération peut aider les élèves à apprendre, on a identifié trois grands domaines : 

  • Le premier c’est le soutien mutuel : quand on a une tâche à exécuter, le fait de pouvoir compter sur des aides potentielles et des étayages dans notre environnement permet de pouvoir lutter contre le sentiment d’isolement et la tentation du renoncement. 
  • La deuxième sollicitation de la coopération c’est le fait de pouvoir obtenir, grâce aux autres, des idées qu’on n’aurait jamais eu tout seul et réciproquement. C’est ce qu’on appelle la dimension de complémentarité. C’est ce qui fait dire à certains élèves “Quand je travaille avec d’autres c’est comme si on avait plusieurs cerveaux !”. 
  • Et la troisième idée, c’est à la fois la plus travaillée au niveau scientifique et la moins comprise au niveau pédagogique, c’est la coopération en termes de source de conflits car le fait de ne pas être d’accord dans une situation coopérative conduit chaque sujet en désaccord à ré-interroger la solidité de ses propres certitudes et donc à s’ouvrir à du questionnement et à une reconfiguration d’apprentissage. Là on retrouve les travaux sur la force du conflit socio-cognitif comme vecteur de conflit cognitif.
Photos gratuites de a cote de academique amitie9ulhpt

C’est vraiment très intéressant. Je voudrais alors passer à ma question suivante : quel est selon vous l’intérêt des pédagogies coopérative pour répondre aux insuffisances du système scolaire français ? en particulier le fait qu’il ne parvient pas à réduire les inégalités sociales. Quel est votre opinion sur ce point ?

Alors, comme on vient de le voir, si l’on ne fait pas attention, les pédagogies coopératives peuvent augmenter les inégalités sociales. Et c’est un peu ce qui est reproché à la pédagogie Freinet, notamment aujourd’hui, parce qu’elle a du mal à faire la différence entre coopérer et collaborer ou bien à concevoir les activités coopératives comme potentiellement dissymétriques. On observe par exemple que ce sont toujours les mêmes qui aident les autres, ce sont toujours les mêmes qui ont besoin d’être aidés mais qui ne demandent pas à être aidés… les élèves quand on les met en groupe font tout pour ne pas être en désaccord, ils adoptent une solution de facilité que ma collègue de l’université de Nanterre, Marianne Dion, appelle le “consensus de complaisance ». C’est-à-dire identifier celui ou celle qui est le plus compétent, lui demander son avis et dire “C’est bon, je suis d’accord avec toi”. En trente secondes on a terminé ce qu’on doit faire et on peut discuter d’autre chose. C’est une solution de facilité qui est terrible dans les classes. Tout ça, si vous voulez, toutes ces confusions, ce sont des pièges énormes qui peuvent très rapidement transformer des organisations coopératives en vecteurs d’accélération des inégalités.

Il n’y a pas de différenciation ?

Ah si, il y a une différenciation justement. Je travaille avec une collègue belge, qui s’appelle Sabine Khan, qui dit que dans ce cas-là, la différenciation c’est de voir les meilleurs réussir et tous les autres s’arrêter de travailler ! C’est une différenciation terrible ! Et qui s’appuie sur les origines sociales et culturelles des élèves ! 

Et donc, en quoi les organisations coopératives peuvent lutter contre le développement de ces inégalités et bien on est en train d’y travailler aujourd’hui mais c’est une préoccupation très récente. Il y a plusieurs intérêts, le premier c’est l’enrôlement des élèves, le fait de donner à des élèves la possibilité de travailler avec d’autres et donc de moins prendre le risque d’être en difficulté tout seuls. C’est le concept d’enrôlement de Jerome Bruner qui est intéressant à cet égard. 

Un deuxième intérêt des pédagogies de la coopération, notamment avec des préceptes comme l’entraide et le tutorat, c’est le fait de donner la possibilité aux élèves de déclencher à leur initiative une demande d’aide lorsqu’ils se sentent coincés, pour une fonction de déblocage. Mon collègue de l’université de Bordeaux, Alain Maudry, a beaucoup travaillé sur ça. 

Un autre intérêt de la coopération, c’est l’importance accordée au conflit. C’est-à-dire le fait d’insister avec les élèves sur l’intérêt des désaccords. En effet, souvent ce qui se passe quand on met en groupe des élèves, c’est la tentation du consensus de complaisance. Mais, on s’est rendu compte que même s’ils utilisent cette stratégie d’évitement, ça donne la possibilité ensuite à l’échelon de la classe entière de médiatiser toutes les idées différentes qui ont été émises à l’intérieur des groupes et à partir de cette diversité d’avis de faire naître le conflit socio-cognitif. 

Il y a énormément de pistes qui sont très prometteuses sur l’organisation de la coopération pour lutter contre les inégalités mais à condition que les éducateurs qui utilisent ces techniques soient conscients des dérives possibles. Par exemple être au clair sur la différence entre le monitorat tel que c’était utilisé dans l’enseignement mutuel et le tutorat. Dans le tutorat, tout le monde peut aider, ce ne sont pas uniquement les meilleurs qui aident. Tant qu’on n’est pas au clair avec ça, forcément on crée des systèmes coopératifs qui sont ségrégatifs à l’encontre des plus vulnérables.

Est-ce que c’est cela qui explique la difficulté de promouvoir les pédagogies coopératives à l’école ?

En fait, la notion de coopération fait consensus au niveau des politiques. Tout le monde veut qu’il y ait de la coopération à l’école. Mais pas pour les mêmes raisons. C’est-à-dire que les colorations politiques plutôt progressistes militent pour la coopération comme étant une source d’émancipation sociale : les pédagogies de la coopération sont l’occasion de sensibiliser les peuples à l’importance des politiques sociales, à l’attention aux plus vulnérables.

Et d’acquérir des compétences sociales ?

Non, c’est pas tant les compétences sociales, c’est avoir une écoute et une attention particulière pour les plus fragiles. Que les plus forts se rendent disponibles pour les plus fragiles. C’est cela qui est au coeur de la coopération pour les partis de gauche. Les partis de droite ou plutôt les partis libéraux, eux aussi, militent beaucoup pour les pédagogies de la coopération mais pour une toute autre raison. C’est pour le développement de compétences sociales. C’est l’objectif d’apprendre à travailler avec les autres, Parce que si, grâce à l’école, les élèves apprennent à travailler avec  les autres, ce seront de bien meilleurs et de plus rapides collaborateurs dans le monde du travail. Et ça, c’est clairement indiqué dans le traité de Bologne par exemple, qui demande que tous les systèmes éducatifs mettent en place des pédagogies coopératives… En fait ce sont des pédagogies collaboratives, puisque l’objectif c’est d’apprendre à travailler avec les autres. L’objectif n’est pas forcément d’apprendre, c’est d’apprendre à se mettre en retrait quand on n’est pas assez compétent, apprendre à écouter ce que les autres disent, à respecter les tours de parole, enfin voilà... Donc tout le monde est d’accord sur les pédagogies de la coopération mais pas du tout pour les mêmes raisons.

Les seuls qui ne sont pas d’accord, c’est l’extrême-droite parce qu’ils pensent qu’il n’y a d’éducation que celle qui naît dans l’adoration d’un maître. C’est cela la base de la véritable autorité. En fait, c’est de l’autoritarisme. C’est tout à fait cohérent avec ces postures politiques et d’ailleurs c’est la raison pour laquelle - ça ne plaît pas quand je dis ça mais c’est un fait historique - c’est la raison pour laquelle Mussolini ne s’est pas tourné vers Freinet, il s’est tourné vers Montessori, il a demandé à Montessori de faire de sa pédagogie la pédagogie fasciste. La pédagogie Montessori n’étant pas du tout une pédagogie de la coopération.

 

 

Ce qu’on demande aux enseignants aujourd’hui c’est de tout faire pour lutter contre le décrochage scolaire.

Vous pensez-donc qu’il y a un intérêt dans le système éducatif français pour l’adoption des pédagogies coopératives ?

Oui, il y a un intérêt énorme. Mais pour une autre raison, c’est l’augmentation de l’hétérogénéité des élèves dans les classes. C’est-à-dire qu’on demande de plus en plus aux enseignants aujourd’hui “de prendre en compte la diversité des élèves”. C’est dans le référentiel des compétences des enseignants du XXIe siècle et qui consiste à faire en sorte que tous les élèves atteignent au moins la maîtrise d’un diplôme. 

Ce qu’on demande aux enseignants aujourd’hui c’est de tout faire pour lutter contre le décrochage scolaire. Dans n’importe quelle classe, il y a des enfants différents, il y a beaucoup d’hétérogénéité et donc comment peut-on penser une pédagogie uniforme avec des enfants différents ? C’est là où ça devient impossible à tenir et c’est là où les organisations coopératives apparaissent pour beaucoup comme étant très intéressantes parce que l’enseignant n’est plus la seule personne ressource qui peut donner un coup de main aux élèves. On propose un temps de partenariat aux élèves pour que cette diversité devienne une richesse plutôt qu’une contrainte. C’est à cause de l’injonction sociale de faire réussir scolairement tous les élèves que les pédagogies coopératives sont reconnues comme étant intéressantes. 

Le souci c’est que ça attire beaucoup de gens mais s’ils ne sont pas correctement formés à la coopération, ils vont très facilement confondre coopérer et collaborer. Et là, ils vont se rendre compte très rapidement que ça ne marche pas parce qu’ils sont en train de mettre en place des pédagogies collaboratives, qui n’ont rien à voir. J’entends des profs qui disent “Mais moi, le travail de groupe j’ai déjà essayé... Il y a trop de bruit, c’est toujours les mêmes qui travaillent et au final les élèves les plus fragiles se mettent en retrait. Donc, ça ne marche pas, je ne veux plus en entendre parler !”. Moi, je leur dis : “Ce que tu as mis en place n’est pas de la pédagogie coopérative, c’est autre chose.” - “Mais c’est ce qu’on m’a dit en formation !

 Le problème en France c’est qu’il n’y a pas assez de formateurs formés. 

La France compte beaucoup de pionniers des pédagogies coopératives et pourtant leurs expériences, leurs recherches restent peu utilisées. Comment cela s’explique-t-il ?

Les travaux des pédagogues français sont connus en France. Ils ne sont pas forcément beaucoup utilisés mais la pédagogie Freinet est très connue en France. Au niveau mondial, on parle beaucoup de coopération, mais pas avec des influences françaises. Les influences sont surtout américaines. En particulier ce qu’on appelle le “cooperative learning”, l’apprentissage coopératif, développé par deux psychologues et pédagogues américains, les frères Johnson. C’est une conception, qui est hégémonique au niveau mondial et très peu connue en France. 

Par exemple, chez nos voisins espagnols, j’ai travaillé avec un chercheur catalan qui est un expert en “cooperative learning” et qui n’avait jamais entendu parlé de la pédagogie Freinet ou des coopératives scolaires, il n’avait même jamais entendu parlé de Francisco Ferrer Guardia, ou alors très vaguement. 

Cela s’explique par le fait qu’on est dans un fonctionnement mondial de la recherche qui est beaucoup influencé par les politiques libérales et néo-libérales. Le “cooperative learning” c’est le fait d’apprendre à coopérer, l’apprentissage coopératif… 

Au Canada, par exemple, il y a des cours de coopération où des élèves participent à des exercices, participent à des expériences très récréatives, très motivantes où l’objectif n’est pas d’apprendre l’histoire, les sciences, l’anglais ou les mathématiques, mais de développer les “cooperative skills”, les habiletés coopératives. 

La technique la plus connue c’est le Jigsaw, la classe puzzle. C’est utilisé dans le monde entier, quelque soit l’âge des enfants, voire même en formation professionnelle, et ça commence à arriver en France. J’ai monté un petit collectif de recherche sur la classe puzzle, Il y a beaucoup d’enseignants qui l’utilisent parce que ça motive les élèves, mais ce n’est pas fait pour qu’ils apprennent ce que l’enseignant voudrait qu’ils apprennent. Et donc celui-ci se retrouve coincé à la fin.

Je trouve très intéressant l’analyse que vous faites d’abord sur la confusion entre coopération et collaboration et ensuite sur la confusion entre apprendre en coopérant et apprendre les compétences sociales.

Oui, c’est apprendre à coopérer ou coopérer pour apprendre. Apprendre à coopérer c’est plutôt l’approche libérale et néo-libérale de la coopération et coopérer pour apprendre c’est plutôt une recherche de démocratisation de la réussite scolaire, c’est beaucoup plus attaché aux politiques progressistes.

Photos gratuites de a l interieur activites bureauapx4mq

Vous m’avez apporté beaucoup d’éclairages et j’aurais une autre question. Je voyais un lien entre les pédagogies coopératives dans l’éducation formelle et les pédagogies coopératives dans l’éducation non formelle, mais maintenant j’ai l’impression que dans l’éducation non formelle on utilise plutôt les pédagogies collaboratives, par exemple la pédagogie du projet.

Alors, ça dépend des priorités que l’on donne à la pédagogie du projet. C’est en philosophie de l’éducation la distinction entre poièsies et praxis. Dans une pédagogie de projet, si le plus important c’est que le projet soit beau, que les gens soient fiers de cette belle réalisation, on est dans la recherche de la fabrication d’une oeuvre (poièsies), c’est l’approche poiétique. Et c’est vrai que pendant longtemps on a pensé que la pédagogie de projet devait conduire à de belles œuvres, et que si l’œuvre était belle, forcément ceux qui avaient participé à cette belle réalisation en avaient profité. On est revenu de cette conception. 

La pédagogie de projet peut être aussi basée sur l’acquisition de compétences à travers l’expérience du projet, quelle que soit la qualité de la réalisation finale.

C’est lié à l’importance que l’on donne à la progression personnelle des participants.

C’est ça. Le plus important dans une pédagogie du projet qui vise l’éducation, ce n’est pas que le projet soit réalisé, c’est que le projet donne la possibilité à chacun de grandir. Cela était déjà expliqué par les travaux de Philippe Perrenoud entre autres, mais ça demande énormément d’accompagnement aujourd’hui, notamment dans les lycées professionnels où la pédagogie du projet et du chef d’œuvre sont devenues centrales. On peut faire référence à un poème célèbre d’Antonio Machado : “Voyageur, le chemin, ce sont les traces de tes pas. C’est tout ; voyageur, Il n’y a pas de chemin, le chemin se fait en marchant”. 

C’est-à-dire que le plus important dans une pédagogie du projet ce n’est pas le projet, c’est ce que les jeunes vont pouvoir développer en termes de compétences, de confiance en eux, de motivation, dans l’expérience au sein du projet.

Alors, j’ai une autre question que j’aimerais vous soumettre, quand j’étais au CM2, en 1952, je me souviens que notre instituteur avait fait une présentation des Francs et Franches Camarades à la classe, en nous encourageant d’y adhérer. Je pense qu’à l’époque, après la guerre, il y avait en France une relation assez forte entre l’éducation formelle et l’éducation non formelle. Beaucoup d’enseignants s’investissaient dans les mouvements éducatifs péri- scolaires en complément de leur travail éducatif. Aujourd’hui, à contrario, il semble qu’on observe une séparation de plus en plus grande entre l’école, d’un côté et les mouvements éducatifs péri-scolaires de l’autre. Entre l’éducation formelle et l’éducation non formelle. Qu’en pensez-vous ? Dans la recherche en sciences de l’éducation, est-ce qu’il y a des chercheurs qui s’intéressent à l’éducation non formelle ?

Ce que vous décrivez, ce n’est pas lié à une conception de l’éducation, c’est lié au désenchantement de tout l’engagement citoyen dans la société. Il y avait un modèle français très riche mais qui a tendance à être gommé par la société de consommation, par la promotion des logiques individualistes, par le fait de ne pas transmettre l’idée que ce qui est prioritaire dans le vivant c’est la coopération, ce n’est pas la recherche de domination sur les autres. Sur le monde enseignant, ça s’est traduit par la prolétarisation de cette profession. Le fait qu’on demande aux enseignants d’être plus des exécutants que des auteurs d’éducation, de respecter les programmes imposés par le ministère plutôt que d’être de véritables éducateurs avec des enfants.

Donc aujourd’hui dans des écoles et des établissements scolaires, un enseignant qui voudrait être un militant éducatif, on va lui demander des comptes en lui disant “Mais qu’est-ce que tu fais ? Tu en fais plus que ce qu’on te demande ! Est-ce que tu peux nous expliquer si ce que tu fais en plus des autres ça vaut la peine de le faire ?” 

Et donc, les plus motivés et les plus engagés, ça leur demande beaucoup plus de travail, ils prennent beaucoup plus de risques et au bout d’un moment ils disent “A quoi bon ?” Et donc ils s’engagent ailleurs et autrement que dans le domaine éducatif, ou pour des causes qui peuvent être éducatives mais avec des barrières entre leur monde d’engagement citoyen et leur monde d’engagement professionnel. 

Il n’y a rien aujourd’hui dans l’organisation de l’Education Nationale qui encourage les professionnels de l’enseignement à être des militants éducatifs et à la limite, ils sont plutôt découragés de le faire. Cependant, il y a des raisons d’espérer que ça redevienne important notamment en ce qui concerne la citoyenneté. 

Il y a quelque chose qui peut être commun entre le monde scolaire et le monde non scolaire c’est ce qu’on appelle les pédagogies participatives. C’est à dire le fait qu’à l’école et hors de l’école on considère les enfants, quel que soit leur âge, comme des interlocuteurs valables et qu’on les associe aux prises de décision qui les concernent. Pas seulement en leur faisant croire qu’on leur donne la parole alors que les décisions ont déjà été prises par ailleurs. 

Par exemple, le fait de réfléchir à des modalités de prise de décision... Le spécialiste en France de ce genre de questions c’est Jean Le Gal de l’université de Nantes qui a travaillé sur les droits de l’enfant... Le fait par exemple de s’interdire, pour prendre une décision, d’utiliser le vote parce que le vote c’est le fait d’imposer la voix de la;majorité à toutes les minorités. Et on voit ce que cela a donné pour nous en tant que citoyens, c’est- à-dire que la pratique du vote au niveau national... Il n’y a pas eu de malversations aux dernières élections présidentielles mais on a obtenu un président élu démocratiquement grâce aux voix de personnes qui ne voulaient pas son concurrent. Et après on se retrouve avec une réforme très contestée comme celle des retraites avec des arguments qui forcément sont considérés comme de la provocation par un président qui dit “Mais je ne sais pas pourquoi vous n’êtes pas d’accord avec moi, j’avais mis cette réforme dans mon programme.” Oubliant qu’il a été élu grâce à des personnes qui n’étaient pas d’accord avec son programme mais qui ne voulaient pas que son adversaire ait accès au pouvoir. 

Face aux dérives des organisations démocratiques que l’on subit collectivement, on pourrait proposer des alternatives pour les faire vivre aux enfants à l’école et hors l’école, par exemple en mettant en place des conseils d’enfants et en portant une attention très particulière à la parole des enfants. Cela ne signifie pas considérer les enfants comme des rois et comme ayant la possibilité de décider tout ce qui leur passe par la tête, ce n’est pas cela du tout. Cela demande qu’il y ait des moyens pour la formation des adultes, dans les formations d’animateurs, dans les regroupements associatifs, dans la formation des enseignants. Cela demande une impulsion politique.

J’ai pas mal travaillé dans la coopération avec les pays africains, et l’école n’est pas en très bonne forme dans ces pays-là. pensez-vous que les pédagogies coopératives pourraient améliorer la situation ?

Mais quelles pédagogies coopératives ? C’est un peu comme en France... Si on demande aux enseignants de mettre en place la coopération et que ça se traduit soit pas un joyeux bazar soit par des organisations collaboratives, ce ne sera pas mieux. 

Donc une fois de plus, l’enjeu c’est de mettre en place un accompagnement des enseignants pour qu’ils ne se trompent pas. La question à laquelle je ne peux pas répondre aujourd’hui c’est de savoir s’il est préférable de laisser l’école dans l’état actuel ou d’imposer une collaboration qui risque de se traduire par des effets inverses de ceux qui sont attendus. Je vais dans des classes où les enseignants disent mettre en place la coopération et où les élèves me disent “C’est catastrophique ! On n’apprend rien et en plus c’est la pagaille en classe !” Alors que s’il n’y avait pas tout ce que les enseignants ont introduit, ça ne serait pas très bon, mais ça serait mieux que ce qu’ils sont en train de vivre. Au niveau international, je ne sais pas. Je n’ai pas d’expérience de ces contextes-là…

Quand vous avez par exemple un enseignant qui a en face de lui une classe de 70 élèves ou plus…

J’ai quelques doctorants qui viennent de ces pays-là et qui nous décrivent de telles situations et je leur dis que  l’enseignement mutuel ça pourrait être super. A condition de mettre en place une formation des personnes et un accompagnement. S’il n’y en a pas, ça peut être pire que mieux. C’est là où il y a des liens, des tissages très diplomatiques à entretenir entre la pédagogie, l’éducation et les politiques. 

Parce que l’éducation émancipatrice et démocratique ne pourra jamais être mise en œuvre et diffusée sans l’aide des politiques. Sauf à faire des expériences pédagogiques dans une école privée, dans une culture de l’entre soi et sans aucun impact sauf dans les manuels d’histoire.

DB - Ecoutez, je vous remercie beaucoup du temps que vous nous avez consacré. Avez- vous encore un mot à dire en conclusion ?

Et bien merci beaucoup pour ce que vous faites. Cela me semble essentiel qu’il y ait des espaces, tel que celui que vous animez, où l’on rappelle que ce qui est normal sur le plan humain c’est la relation et la coopération et ce qui est exceptionnel et marginal c’est la recherche de la supériorité sur les autres. 

Quand je travaille avec des enseignants et que je leur demande ce qui est le plus important dans la société : coopérer ou chercher à être meilleur que les autres, beaucoup disent que le plus important c’est d’être meilleur que les autres, c’est la meilleure façon de survivre ! Et je leur dis non pas du tout ! Tout le monde est d’accord sur le fait que ce n’est pas ça la solution, sauf que nos modes de vie occidentaux nous font croire le contraire. Donc il est nécessaire de rappeler ce qui était de l’ordre de l’évidence il y a quelques années et qui a été complètement gommé par la société de consommation.

Aucune note. Soyez le premier à attribuer une note !
Vous devez être connecté pour poster un commentaire